Les Jérémiades by Simon Boulerice

Les Jérémiades by Simon Boulerice

Auteur:Simon Boulerice [Boulerice, Simon]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782923107134
Éditeur: Sémaphore
Publié: 2016-04-10T04:00:00+00:00


10

MA CINQUIÈME ANNÉE du primaire se concluait dans l’amour et la hâte.

Fin juin, une fois mes examens presque ratés, nous marchions lentement, le long du rang Saint-Paul. Nous laissions le soleil nous cuire la nuque. Le rang sentait le goudron de toiture. Les toits brûlaient. J’avais de l’empathie pour les oiseaux qui y posaient leurs pattes. Ma lenteur extrême agaça Arthur qui me tira par la main. Les veines de son avant-bras me bouleversaient. Ma main dans la sienne cherchait ses jointures pointues pour y compter les mois qu’il me restait près de lui.

La canicule s’était chargée de nous rougir le cou. Celui d’Arthur avait flambé au soleil, comme en janvier, à son retour de la Floride. Il goûtait le rôti salé.

Ma mère plantait ses plants de tomates et ses fleurs conventionnelles. J’aimais ses géraniums. Leur odeur pleine d’humilité. Ses géraniums, c’était une constellation de globules rouges. Si je mords dans un pétale, éclaterai-je ses veines ? J’aurai la bouche pleine de sang comme un agonisant.

Arthur : oasis parfaite. Nous avons une piscine et mes parents t’invitent pour la baignade. « Invite ton ami Arthur. » Parfait. Papa, maman, Valérie : vous aurez la chance de voir le torse parfait de mon ami. Tâchez de ne pas vous évanouir à la vue des taches rousses de ses épaules. Ne faites pas comme moi : contenez-vous.

Arthur avait changé. Il acceptait de venir à l’occasion chez moi. « Uniquement grâce à la piscine » qu’il disait.

Ma sœur faisait de l’œil à mon amoureux. Jamais elle n’avait pu le croiser à Pierre-Bédard car elle fréquentait une école privée. Mais elle succombait à Arthur comme les autres. Comme moi.

Arthur, Valérie et moi jouions avec un ballon rouge gonflé avec les poumons et l’air de papa. Arthur fut trop fort : le ballon quitta la piscine, puis notre terrain. Il roula chez le voisin. J’émergeai de la piscine. Mes cheveux se séparèrent en plusieurs bouclettes d’huile, comme si l’on m’avait badigeonné la tête de Crisco. C’était un dévergondage capillaire. Je sortis de cette piscine en voyou et me ruai à la poursuite du ballon. Retrouver le souffle de mon père qui roulait dans l’herbe jaunie.

« Défense de marcher ». Un bonhomme allumette en caractère gras, barré d’un trait rouge. Il marchait sur du gazon et c’était interdit. Vais-je mourir si je marche sur les engrais des pelouses ? Vais-je perdre l’usage de mes pieds ? Remarcherai-je ? C’étaient les craintes de l’époque.

Un jour, ma mère m’avait mis en garde à propos de la pancarte :

— Ne marche pas sur le terrain pieds nus. On l’a arrosé d’engrais.

— Sinon mes pieds vont tomber ? lui répondis-je, avec un trop-plein de désarroi.

— Oui. Comme un fruit trop mûr.

— C’est horrible.

— Oui. Ce l’est. Alors, ne marche pas sur le terrain.

Ce jour chaud de 1993, je courus au ballon rouge sur une pelouse empoisonnée. Mes pieds se détachèrent. J’arrivai chez moi les mollets à vif, en sang. Vite, enveloppez-moi ces moignons. Langez-moi. La pelouse m’a contaminé. C’était de l’acide ? Oui.



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